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Force est de constater que, ces dernières années, la traduction automatique a subi une véritable révolution. La traduction automatique neuronale (TAN) a détrôné les autres types de traduction automatique : la traduction à base de règles et la traduction statistique. Néanmoins, même si la TAN a réussi à pénétrer dans certains secteurs du monde de la traduction, en rendant au traducteur la tâche soi-disant plus efficace et en créant des nouveaux métiers comme celui du traducteur post-éditeur, la traduction juridique semble épargnée.
Dans le domaine juridique, la « Artificial Intelligence » veut dire ce qu’elle veut dire, car traduire n’est pas transcoder ni passer de mots en mots d’une langue à une autre. Traduire c’est « verser » dans une autre langue le « vrai sens » d’un terme ; ceci n’est possible que si celui qui traduit a profondément compris, grâce à son « savoir », le texte à traduire pour transmettre son sens avec justesse.
L’exemple ci-dessous porte sur la traduction d’une clause de résiliation anticipée, sans indemnité, dans un contrat de bail. J’ai sollicité un performant moteur de traduction gratuit en ligne afin de traduire en français l’extrait espagnol suivant :
[ES] El arrendatario podrá desistir del contrato, una vez que hayan transcurrido seis meses desde su firma, siempre que se lo comunique al arrendador con una antelación mínima de treinta días. En el caso de que el arrendatario hiciera uso de este derecho, no estará obligado a pagar al arrendador las rentas que quedaren por vencer hasta la fecha de terminación del contrato.
[FR] Le locataire peut se retirer du contrat après six mois à compter de sa signature, à condition de donner au propriétaire un préavis d’au moins trente jours. Si le locataire fait usage de ce droit, il ne sera pas tenu de payer au bailleur les loyers qui restent dus jusqu’à la date de résiliation du contrat.
Alors que pour un.e traducteur.trice experimenté.e cette clause, assez simple, ne comportera aucun problème, le moteur de traduction en question trébuche ; voyez-vous les méprises les plus marquantes, non ? Les voici !
1. « Locataire » et « propriétaire » : le moteur de traduction n’a évidemment pas compris qu’il s’agit ici d’un contrat de bail. Dans ce contexte, on privilégiera les termes « Preneur » et « Bailleur » (idéalement écrits en majuscule) au lieu de « locataire » et de « propriétaire », et ce, pour différentier notamment le « propriétaire » du « Bailleur », deux termes qui ne signifient pas forcément la même chose (songeons notamment à un contrat de sous-location).
2. Il y a également une erreur terminologique concernant le verbe « se retirer ». Dans le présent cas, la clause espagnole parle de « desistir », c’est-à-dire, du moyen qu’ont les parties (ou l’une d’entre elles) de mettre fin à au contrat de bail de manière anticipée et sans effet rétroactif. En français, le verbe exact pour traduire « desistir » est « résilier », verbe que, par ailleurs, le traducteur automatique a placé à la fin du paragraphe, mais quelle méprise ! La repères-tu ? Le moteur de traduction est tombé ici dans un contresens majeur puisque la date de résiliation anticipée est, par définition et en tout état de cause, une date antérieure à la date où le contrat arrive à échéance.
3. En troisième lieu et concernant le style rédactionnel, on remarquera que le moteur de traduction n’a pas respecté un certain formalisme dans la phraséologie juridique, puisque l’on privilégiera : « il (le Preneur) ne sera pas tenu de s’acquitter des loyers restant à échoir jusqu’à la fin dudit contrat » au lieu de « il ne sera pas tenu de payer au bailleur les loyers qui restent dus jusqu’à la date de résiliation du contrat ».
Il est évident que, compte tenu des erreurs terminologiques et rédactionnelles antérieurement évoquées, la traduction automatique ci-dessus est pour le moins décevante et à peine exploitable pour un travail de post-édition digne de ce nom. Cela ne suppose pas pour autant le déni des avancées technologiques. Les logiciels de traduction assistée (à ne pas confondre avec les moteurs de traduction automatique) et les programmes de gestion terminologiques accompagnent, bien entendu, le.a traducteur.trice dans sa laborieuse et audacieuse aventure, mais ils ne peuvent jamais le.a remplacer sous peine de produire une traduction médiocre.
Alors… as-tu changé d’avis ?
Merci de m’avoir lu et à très vite,
Teresa
Bibliographie :
- Danica Seleskovitch et Marianne Lederer, Interpréter pour traduire, Paris, Les Belles Lettres, 2020.
- Carla Parra Escartín, ¿Cómo ha evolucionado la traducción automática en los últimos años?, La Linterna del Traductor de ASETRAD, n°16, 2018.
- Valérie Vanden Dunghen, Cours de traduction juridique et administrative espagnol-français, Université Libre de Bruxelles, 2019-2020.