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#YesWeCan
Clara Campoamor (1888-1972) et Victoria Kent (1891-1987) furent deux espagnoles pionnières. Il s'agit, en effet, des premières femmes à avoir étudié le droit, à s'être inscrites au barreau et à être devenues avocates en Espagne. En Belgique, Marie Popelin (1846-1913) fut, quant à elle, la première femme docteure en droit. Aujourd'hui, les facultés de droit regorgent d'étudiantes qui deviendront plus tard avocates, juges ou notaires. Mais alors, pourquoi le langage juridique se borne-t-il à maintenir un regard androcentrique et à rester non-inclusif ?
En français, lorsque des termes comme «notaire» ou «juge» doivent rester invariables, une forme de langage non sexiste consiste à marquer le féminin par l'article ou par l'adjectif. Néanmoins, force est de constater que, dans le langage juridique écrit, cette règle - pourtant prônée par l'Académie Française - n'est pas ou peu suivie. Prenons, par exemple, le langage notarié.
Dans les actes notariés (procurations, actes de notoriété, testaments, contrats de mariage, etc.) que j'ai eu la chance de traduire du français à l'espagnol, je constate depuis longtemps que le masculin «par défaut» reste prédominant, même si la personne qui dresse l'acte est une notaire. Voici quelques exemples:
- Exemple 1 : Conformément à la loi organique sur le Notariat, le notaire soussigné déclare connaître les parties (…) ; afin de visibiliser la figure féminine qui est exerce la profession, il aurait été plus judicieux d'écrire : Conformément à la loi organique sur le Notariat, la notaire soussignée déclare connaître les parties (…).
Ou plus surprenant encore d'un point de vue morpho-syntactique :
-Exemple 2 : Devant le notaire Catherine-Marie (…), résidant à Liège (deuxième canton) (…) ; il me semble que, comme dans l'exemple précédent, il aurait été plus approprié d'écrire : Devant la notaire Catherine-Marie (…), résidant à Liège (deuxième canton) (…).
Je peux comprendre que le notariat se base sur des modèles préexistants où la forme masculine «par défaut» l'emporte, étant donné qu'il s’agit d'un métier traditionnellement masculin ; mais vu que les femmes se consacrent depuis longtemps à l'étude et à l'exercice du droit, pourquoi ne pas modifier l'acte notarié en écrivant tout simplement «la notaire» ou «la notaire soussignée », afin de visibiliser le travail réalisé par les femmes ?
Lors de la traduction en espagnol, j'applique les règles orthographiques et grammaticales préconisées par la Real Academia Española qui établit très clairement que lorsqu'on se réfère à une femme exerçant la fonction de notaire, il convient d'utiliser la forme féminine, à savoir notaria avec son article au féminin ainsi que l'adjectif qui l'accompagne : la notaria ou la notaria infrascrita.
Par ailleurs, je constate également que le langage masculin «par défaut» est employé, en Belgique, dans des documents rédigés par des juges d'instruction femmes :
- Exemple 3 (il s'agit de l’en-tête générique d'une décision d’enquête européenne) : Tribunal de première instance francophone - Cabinet du juge d'instruction - Marie-Dominique (…). À mon sens, il aurait été préférable d'adapter l'en-tête et d'écrire : Tribunal de première instance francophone - Cabinet de la juge d'instruction - Marie-Dominique (…).
- Exemple 4 (il s'agit d'un extrait d'un interrogatoire retranscrit) : Devant Nous, Marie-Dominique (…), juge d'instruction de l'arrondissement de Bruxelles, assisté de (…) ; dans le même ordre d'idées, il aurait été pertinent d'accorder le verbe au féminin et d'écrire : Devant Nous, Marie-Dominique (…), juge d'instruction de l’arrondissement de Bruxelles, assistée de (…).
Concernant le terme juge (juez, en espagnol), la Real Academia considère correct de l'écrire dans sa forme féminine jueza et, dans ce cas, l'adjectif et le verbe qui accompagnent le substantif doivent s'accorder aussi au féminin : la jueza de instrucción asistida por (…).
Un autre exemple frappant est la déclaration belge des droits communiquée à la personne suspecte - homme ou femme - où le langage inclusif brille par son absence, perpétuant ainsi une approche androcéntrique du langage :
- Exemple 5 : Vous n'êtes pas obligé de demander une concertation ou l'assistance d'un avocat (…); dans le même ordre d’idées, il aurait été plus judicieux de dédoubler tant le verbe «assisté» que le substantif «avocat» et d'écrire: Vous n’êtes pas obligé.e de demander une concertation ou l'assistance d'un.e avocat.e.
- Exemple 6 : Si vous souhaitez vous exprimer dans une langue autre que celle de la procédure, il sera fait appel à un interprète assermenté (…); le langage inclusif nous permet donc d'écrire : Si vous souhaitez vous exprimer dans une langue autre que celle de la procédure, il sera fait appel à un.e interprète assermenté.e (…).
Lors de la traduction en espagnol, et même si le dédoublement peut paraitre un peu fastidieux, je rédige «abogado o abogada», «un/a intérprete jurado/a» ou utilise des épicènes ou des collectifs abstraits comme «asistencia letrada» o «persona sospechosa», car la langue est très riche et possède des ressources multiples de visibilité, au-delà du simple masculin et féminin.
De plus, rien n'empêche que le greffier - lorsqu'il s'agit d'une femme - puisse signer la greffière (la letrada de Administración de Justicia, en espagnol), ou que l'inculpé puisse devenir la personne inculpée (la persona encausada, en espagnol), ou que le privé de liberté puisse devenir la personne privée de liberté (la persona privada de libertad, en espagnol).
Sur la base des exemples ci-dessus, mon objectif n'est pas d'être dogmatique - loin de là - mais bien d'attirer l'attention sur l'adéquation de la langue à une réalité de terrain. Durant des siècles, il a été interdit aux femmes d'accéder à certains fonctions et postes de travail. Heureusement, la féminisation de certaines professions est aujourd'hui une évidence. Cependant, il convient que celle-ci se reflète non seulement dans le discours oral mais aussi par écrit.
Merci de m’avoir lue et à très vite,
Teresa
Je tiens à remercier ma collègue Catherine Antheunissens pour sa relecture en français et la docteure Cristina Illamola, philologue à l'Universidad de Barcelona, pour m'avoir éclairée sur le langage inclusif et m'avoir donnée de sages conseils à cet égard. Et puisque le langage est si riche, employons les précieuses et inestimables ressources que les langues nous offrent !
Bibliographie :
- Informe de la Real Academia Española sobre el lenguaje inclusivo y cuestiones conexas.
- Académie Française, La féminisation des noms des métiers et des fonctions.